Ahmed Rassim est un pur poète arabe d’expression française. Né à Alexandrie en 1895, d’une famille aristocrate arabo-musulmane, petit-fils d’un Pacha et d’une grand-mère d’origine circassienne, il a fait une belle carrière de diplomate et a occupé des postes à haut niveau dans l’administration égyptienne.
En amour, il était moins chanceux. A travers ses poèmes, il étale ses tourments face à un amour qui s’égare; la souffrance y est quasi présente: « Gémissez, O amoureux, et avec moi dites Ahh !! N’était la grande douleur, je n’aurais jamais dit : Ah ! ». D’ailleurs, Les noms des femmes parsèment son œuvre : D’abord, Nysane, son premier amour pour laquelle il a écrit le Livre de Nysane, et qui, donnée en mariage à un prince meurt peu de temps après ; mais figurent aussi Samia, Noha, Nawal, Melek…..Il compare lui-même à une plante qui repousse à chaque fois qu’elle est coupée, ce qui démontre sa persévérance dans l’amour et dans la vie.
Ses deux grandes sources d’inspiration étaient sa grand-mère Renguigule « qui fut belle, qui aimait la figure des nuages » et sa servante Zoumboul « qui était faible comme une vieille lampe consumée ». Cette dernière lui a révélé le trésor des proverbes arabes, qu’il a ensuite traduits en français dans ses recueils Chez le marchand de musc et le Collier de la vieille Zoumboul, où il a recueilli environ mille huit cents proverbes.
Ahmed Rassim propose des textes défiant les règles et les conventions de son temps. Il a publié d’abord en arabe son premier recueil intitulé : Le jardin abandonné. Or, il a attiré le rejet de certains de ses contemporains égyptiens surtout de l’éminent poète Ahmed Chawki. Mais, il ne pouvait être que libre. C’est d’ailleurs en raison de cette liberté par rapport aux canons classiques de la poésie arabe qu’il se décide à écrire en français. Ainsi, beaucoup d’autres l’ont apprécié durant son vivant et après sa mort.
Bien qu’il écrive en français, ce poète ne s’est jamais détaché de son milieu et sa culture. Il reprend dans ses poèmes, en les rajeunissant, tous les thèmes de la poésie arabe classique : la femme, l’amour, la séparation des amants, les parfums, l’immensité du désert, etc……..
Quant à la forme, il invente la néo-maqama. La maqama étant ce genre littéraire arabe qui apparaît au début du Xe siècle, et est un court récit de fiction qui se présente comme la transcription d'un khabar (anecdote transmise oralement) en saj' (prose rimée). D’ailleurs, Un style particulier marque un grande partie de son œuvre, c’est l’usage du « dit » comme « Et grand-mère dit encore », « Et Zoumboul dit encore », et « Ahmed dit », qui est une transposition du verbe « qala » en arabe qui ponctue tout récit en cette langue. C’est que Rassim pense en arabe et écrit en français.
C’est un poète qui oscille entre l’Orient et l’Occident. Dans un de ses textes il implore Sayeda Zeinab, petite-fille du prophète Mohamed : « Ô Sayeda Zeinab, mère de Hachim, et fille de l’Imam Ali […] Je viens déposer des figues au seuil de ta mosquée…». Dans un autre texte, il implore la Vierge Marie : « Sainte, Marie, mère du Seigneur […] Vierge dont la douceur grise les sens comme un vin pur ».
Une des dimensions qui marque tout son œuvre est l’humour. Il balance toujours entre l’humour et la mélancolie. Cet humour se trouve dans ses proverbes qu’il a recueillis, mais aussi dans sa poésie, coupant de manière brutale le débordement lyrique ou mélancolique : « une petite vieille aux yeux glauques invectivait un âne en rut » (le collier de la vieille Zombol).
Malgré sa singularité, comme le souligne Irène Fenoglio, chercheuse à l’ITEM, « cet auteur est tout à fait inconnu en France, de même qu’en Egypte, où seuls quelques Égyptiens francophones, âgés, qui l’ont côtoyé, peuvent en dire quelque chose. On retrouve facilement ses textes cependant, même si aucun patrimoine ne l’a jusque-là revendiqué, ni l’égyptien, ni le français, ni même de la francophonie officielle ».
Or, les éditions Denoël ont décidé en 2007 de faire sortir de l’ombre ce poète à l’œuvre diversifiée en publiant « Le journal d’un pauvre fonctionnaire et autres textes». Reste aux chercheurs à travailler.